La région du Nord Cameroun se caractérise par la beauté de ses paysages, sa richesse culturelle et ses potentialités économiques, écologiques et sociale. Malgré ces atouts, cette région fait face à de nombreux défis au rang desquels la forte vulnérabilité aux impacts du changement climatique, la pauvreté et l’insécurité alimentaire, la pression démographique accentuée par les migrations internes des populations entrainant une exacerbation des conflits fonciers et d’utilisation des ressources naturelles. Ces défis sont ressentis avec plus d’acuité par les personnes vulnérables dont les femmes en particulier celles qui vivent en milieu rural. En effet, la vulnérabilité des femmes est accentuée en zone rurale par la persistance des coutumes et pratiques de type patriarcal qui relèguent la femme dans les rôles reproductifs, encouragent l’exclusion et les violences basées sur le genre.
Mis en œuvre avec l’appui financier de l’Union européen (UE), le projet « Ecosystème du Nord Cameroun : vers une approche intégrée du paysage » (EcoNorCam) mis en œuvre par Wildlife Conservation Society (WCS), Forêts et développement rural (FODER) et Centre pour l’environnement et le développement (CED) entend à travers des actions pilotes d’une « approche paysage », à partir du Parc national de la Bénoué et de sa périphérie, contribuer à la mise en place des mécanismes et approches innovants favorisant l’implication de toutes les parties prenantes afin d’instaurer une conservation de la biodiversité, une utilisation rationnelle et une valorisation économique des ressources naturelles. Dans l’optique d’adresser les facteurs d’exclusion une analyse de l’égalité homme-femme dans la zone d’intervention du projet EcoNorCam avait été réalisées par FODER au démarrage du projet afin de déterminer les actions pertinentes en faveur des femmes. Cette publication présente quelques-unes de ces actions et leurs impacts sur le quotidien et les conditions de vie des femmes des villages riverains du Parc national de la Bénoué.
Du système de foyers à 3 pierres aux foyers améliorés pour la cuisson : Les changements apportés dans le quotidien des femmes
Selon les femmes et leurs conjoints, l’introduction et l’utilisation des foyers améliorés dans leur cuisines ont entrainé plusieurs changements positifs. Outre la réduction des besoins en bois de chauffe, l’utilisation des foyers améliorés permet une réduction du temps des travaux domestiques des femmes de la région du Nord. Il en est particulièrement de la corvée de la recherche du bois de cuisson essentiellement effectuée par les femmes et les enfants. En effet, l’efficience énergétique des foyers améliorés a pour incidence la réduction de la quantité de bois utilisée comparativement aux les foyers traditionnels à trois (3) pierres mais aussi du temps consacré à la cuisson des aliments par les femmes.
Il en va également de la réduction de la charge du nettoyage de la vaisselle qui incombe toujours à la femme et aux enfants. Des témoignages des bénéficiaires, les foyers améliorés émettent moins de fumée et entrainent par conséquent une faible accumulation de suie noire sur les marmites. Il en résulte une diminution du temps mis à récurer quotidiennement les ustensiles de cuisine. Pour les femmes qui achètent du bois pour leurs besoins d’énergie de cuisson, l’utilisation du foyer amélioré leur permet de réduire considérablement leurs dépenses en achat de bois.
Les avantages sus-énumérés de l’utilisation des foyers améliorés permettent aux femmes de disposer de plus de temps qu’elles peuvent consacrer à leur repos – lequel a une incidence sur l’amélioration de leur santé – , à l’éducation des enfants ou à diverses autres activités nécessaires à leur épanouissement personnel. Il peut s’agir des activités génératrices de revenus ou des formations utiles à leur autonomisation. Les économies dégagées suite à la réduction de la quantité de bois acheté pour les besoins de cuisson permettent aux femmes de financer d’autres besoins personnels ou familiaux tels que ceux liés à l’éducation des enfants, à la santé, à l’alimentation entre autres. L’utilisation du foyer amélioré dans la région du Nord contribue par conséquent à la lutte contre la pauvreté en milieu rural ainsi qu’à la préservation d’un environnement sain et favorable aux communautés.
Ils/elles ont dit :
- « Aujourd’hui grâce à mon foyer amélioré, j’utiliser 3 morceaux de bois au lieu de 10 pour la cuisson. L’eau du couscous chauffe plus rapidement et avec juste des restes de braises je peux encore faire du chaï (thé) », Madame Hinfiné, membre du groupe Nangam Djoungo du village Ouro André ;
- « Ma consommation en bois pour la cuisson des repas dans mon restaurant a diminué. Avec mes foyers améliorés, j’utilise un fagot de bois constitué 13 à 20 tiges de bois d’au moins 1 mètre chacune pour 3 à 4 jours de cuisson au lieu d’un fagot par jour comme par le passé. Mes dépenses pour l’achat du bois ont diminué », Mme Fadimatou Ibrahima, Restauratrice à Pani ;
- Selon les hommes et les femmes rencontrés la recherche du bois de chauffe est moins régulière. « Si on avait les foyers depuis on ne se serait pas obligé d’aller si loin pour chercher du bois. Nous vivons en forêt mais nous sommes obligés d’acheter du bois » déclarait M. Yebo Paul du village Ouro André.
Des impacts encourageants des investissements apportés dans l’alphabétisation de la femme adulte
La région du Nord est l’une des régions où le taux d’alphabétisation de la jeune fille est faible (environ 31%). Or l’importance de l’éducation dans l’autonomisation de la femme est une évidence. En effet, la non scolarisation ou la sous-scolarisation de la jeune fille d’aujourd’hui a pour conséquence soit la perte des opportunités de développement disponibles soit la faible optimisation de ces opportunités pour la femme de demain. Outre le l’accès limité aux opportunités, les femmes se plaignent du faible contrôle qu’elles ont sur les projets et ressources de leurs organisations du fait de l’accaparement de ceux-ci par les hommes auxquels elles ont recours pour les appuyer dans l’administration de ces organisations. Ainsi, plusieurs cas de détournements des fonds des associations par les hommes ont été relevé. Ces situations conduisent généralement à la dislocation des groupes et au découragement des femmes.
Prenant en compte le besoin d’alphabétisation relevé par les femmes bénéficiaires du projet EcoNorCam comme condition préalable à une autonomisation durable, FODER a mis en place en 2022 un programme d’alphabétisation des adultes dans quatre villages des Département du Mayo-Rey et de la Bénoué. Au cours de l’année scolaire 2022-2023, cent trente-cinq (135) femmes, dont l’âge moyen est de 35 ans étaient inscrites au programme d’alphabétisation et 72% d’entre elles se sont engagées de manière constante et sont allées jusqu’au bout de l’année. Pour l’année scolaire 2023-2024 cent cinq (105) femmes issues de cinq (5) communautés riveraines du Parc national de la Bénoué sont inscrites au programme. Il s’agit des communautés des villages Banda, Dogba, Naari, Boukma et Pani. Treize (13) femmes de la première cuvée du programme sont inscrites à la session 2024 de l’examen du Certificat d’études primaires (CEP).
Des témoignages des femmes bénéficiaires, l’alphabétisation a boosté leur confiance en elles et amélioré leur capacité à contrôler elles-mêmes les ressources issues de leurs activités génératrices de revenus et de leurs associations villageoises d’épargne et de crédit (AVEC). Outre leur autonomisation financière et la réduction de la dépendance vis-à-vis des hommes, l’alphabétisation des femmes boostent leur leadership ainsi que leur autonomisation financière. L’engagement de six (6) bénéficiaires du village Naari dans l’arrondissement de Lagdo comme relais de santé communautaire est illustratif de l’évolution du rôle traditionnel de reproduction assigné à la femme rurale vers des rôles communautaires plus valorisants.
Au-delà de la capacité à lire et à écrire, l’investissement de FODER dans l’alphabétisation des femmes rurales du site du projet EcoNorCam a permis d’ouvrir l’accès à la citoyenneté à plusieurs d’entre elles. Leur offrant ainsi les conditions nécessaires à une meilleure jouissance de leurs droits civils et politiques. En effet, l’appui à l’obtention des actes de naissance pour toutes les femmes qui présenteront le CEP leur ouvre accès à l’établissement d’une carte nationale d’identité (CNI), pièce sans laquelle elle ne pouvait ni s’inscrire sur les listes électorales pour exprimer leur droit de voter, ni voyager aisément en raison des contrôles d’identités sur les routes donc de jouir pleinement de leur liberté d’aller et de venir, ni accéder des postes de responsabilité au sein des organisations de producteurs.trices dont elles sont membres. Sans CNI les femmes sont exclues des mécanismes et opportunités de financement de leurs activités de production telles que les crédits financiers ou d’intrants au niveau des coopératives dont elles sont membres ou des établissements de microfinance.
Au final, l’alphabétisation de la femme en général et de celle vivant en zone rurale dans la région du Nord en particulier est le préalable sans lequel peu d’actions en faveur de l’autonomisation de la femme seraient efficaces et durables. L’alphabétisation offre le potentiel indispensable à l’expression du leadership et de l’émancipation économique, sociale et culturelle de la femme. En renforçant l’entrepreneuriat et l’amélioration de ses revenus, l’alphabétisation des femmes contribue à la réduction du cycle des violences basées sur le genre catalysée par l’illettrisme de certaines femmes.
Auteures : Laurence WETE SOH et Christiane ZEBAZE H.